À propos de cette revue

Aperçu historique

Lieu à la fois historique et emblématique de la vie intellectuelle tunisienne, l’Institut des Belles Lettres Arabes a connu des évolutions successives qui ont façonné son patrimoine unique. De sa vocation initiale de centre de formation de prêtres à la civilisation arabe et islamique, l’IBLA a su se faire, au gré de son époque, lieu de dialogue religieux et culturel avec la société tunisienne, puis centre de recherche scientifique. Également acronyme de sa revue, l’IBLA a fait paraître depuis 1937 plus de 232 numéros et des dizaines de publications, principalement en langues arabe, française et anglaise, s’imposant ainsi comme la plus ancienne revue tunisienne de sciences humaines et sociales.

L’IBLA et sa revue éponyme doivent leur fondation aux Pères Blancs d’Afrique du Nord, autrement dit les membres de la Société des Missionnaires d’Afrique, laquelle fut créée en 1868 par le Cardinal Lavigerie à Alger puis installée en Tunisie en 1875. Lorsque, en 1926, le Chapitre Général des Pères Blancs décide de fonder un établissement consacré à l’étude de l’arabe, il est rapidement convenu que celui-ci serait installé à Tunis, entre la Médina et le quartier européen. Un emplacement dynamique offrant un accès privilégié au centre-ville pour les Pères Blancs venus s’instruire sur la culture arabe et musulmane de la région. C’est en parallèle de la lignée scientifique de l’enseignement zitounien que se développe l’Institut, sous l’impulsion du Père André Demeerseman (1901-1993), qui devient directeur de l’Institut en 1930. Celui-ci fréquente conjointement à ses enseignements aux Pères Blancs les cours de la Khaldounia, une association-académie dont la mission est d’œuvrer à la diffusion d’une culture arabe plus moderne. Ses activités ecclésiastiques vont alors de pair avec sa volonté de prendre la Tunisie comme terrain d’étude afin de poursuivre ses objectifs d’instruction des Sœurs et Pères Blancs.

Dès 1928, les premières brochures paraissent, issues, entre autres, des conférences du Cercle des Amitiés Tunisiennes, créé par le Père André Demeerseman, et sont alors divisées en deux séries distinctes : Les Cahiers Tunisiens et Documents Tunisiens, composés de manière assez variée de recueils de contes, poésies, proverbes, mais aussi glossaires, descriptions, introductions, notes ou commentaires. Ces premières publications mettent en avant une littérature à la fois populaire et savante, et consignent les nuances de l’arabe tunisien dans une collection dédiée, « Le Bled », un outil qui sera notamment mobilisé par les colons afin de mieux maîtriser la langue tunisienne.

Alors que l’Institut des Belles Lettres Arabes est officiellement inauguré sous ce nom en mai 1931 dans la rue Jamaa al Haoua (André Demeerseman assure le discours d’ouverture), la maison d’études se développe peu à peu, se spécialisant dans les sciences humaines et sociales appliquées à la Tunisie. Au sein du Cercle des Amitiés Tunisiennes se développent des réflexions fécondes qui donneront naissance à des manuels de conversation, une série d’une trentaine de conversations sur la vie quotidienne en Tunisie intitulés Miroir de la vie tunisienne (1941) et Le Guide pratique (1945). En avril 1937 paraît le premier numéro de la revue IBLA, alors « simple bulletin » polycopié, recueillant sur 56 pages des observations et documentations sur des sujets divers, le tout organisé selon deux volets : l’étude de l’arabe classique d’un côté, et celle de l’arabe dialectal, de l’autre.  Alors que l’arabe classique sert de vecteur pour l’étude de l’islamologie et des thématiques religieuses comme le droit musulman, l’histoire de l’islam ou l’étude des textes sacrés, l’arabe dialectal devient un outil permettant une meilleure connaissance des traditions tunisiennes.

Les objectifs de la revue sont précisés dans les numéros de l’année 1938 : « IBLA paraît chaque trimestre sur 80 pages environ et publie non seulement des enquêtes méthodiques sur le milieu tunisien mais aussi des études sur des points particuliers de sociologie et de religion, le mouvement des idées etc. ». En 1942, IBLA paraît sous forme imprimée ; elle touche désormais un grand nombre de lecteurs, poursuivant sa mission documentaire et bibliographique en conservant sa ligne éditoriale orientaliste. Après la guerre et avec l’inauguration d’une bibliothèque ouverte aux enseignants et étudiants tunisois, l’Institut se fait centre de recherche et la revue acquiert une essence scientifique. Simultanément, son contenu évolue, modifiant ses tables des matières et supprimant certaines rubriques comme celle de la « Religion », la « Page du colon » ou encore les « Enquêtes » au profit d’un thème centré sur le « Folklore », qu’ Les champs scientifiques de la revue s’articulent principalement autour de la linguistique, la sociologie, l’ethnographie, la culture, la littérature, l’histoire, l’économie, l’agriculture, la santé, l’islam ou encore l’éthique. Ainsi, en 1960, les exemplaires distribués de la revue IBLA (plus de 2500) témoignent de son engagement et de sa pérennité, à une époque où de nombreux journaux ne survivent pas au durcissement politique. Cette singularité peut s’expliquer par la volonté de la revue de se tenir à l’écart des débats politiques, tout en les questionnant à travers des articles spéciaux traitant de problématiques contemporaines.

La revue doit pour beaucoup sa longévité à ses contributeurs, dont le Père André Demeerseman, qui a joué un rôle de premier ordre. En effet, il est non seulement le fondateur de la revue IBLA, mais en plus, il l’a dirigée pendant quarante ans, il est en outre l’auteur de dix-huit ouvrages, cent vingt articles et plus de cent recensions, ayant trait à l’ethnologie ou encore à l’histoire des idées de la Tunisie contemporaine. Des champs de prédilection assez vastes, qui s’étendent également à l’évolution de la famille et au rôle de la femme dans les transformations sociales, aux dialectes, ainsi qu’à la diversité et l’évolution du milieu lettré. Ses travaux en faveur d’un dialogue islamo-chrétien, dans un contexte favorable à l’évolution des rapports entre chrétiens et adeptes d’autres religions – notamment dans les anciens pays colonisés – ont par ailleurs permis la création en 1965 d’un Secrétariat pour le dialogue avec les religions non chrétiennes, basé à Rome. Son expérience en tant que prêtre a ainsi nourri et influencé, tout au long de son œuvre, son travail de chercheur, faisant de lui un observateur et témoin engagé de/dans la société tunisienne. Tout en se tenant à l’écart du fait politique, André Demeerseman tient en effet de discrètes positions anticolonialistes, et prononce une conférence durant laquelle il en appelle à l’humanisme et à l’opinion franco-tunisienne. Il marquera son époque en tant que médiateur privilégié avec la société tunisienne, cherchant à travers son œuvre à constituer un tremplin entre Orient et Occident, faisant de l’Institut des Belles Lettres Arabes et de la revue IBLA des ressources incontournables à destination des chercheurs et universitaires tunisiens et internationaux qu’il fréquentera tout au long de sa vie.

La revue IBLA perdurera également grâce au concours d’autres Pères Blancs, à l’instar du père André Louis (1912-1978), un des premiers collaborateurs de la revue et auteur de plus de cinquante articles, ou encore Jean Fontaine (1936-2021), directeur de l’Institut de 1977 à 1999, et auteur de nombreuses recensions. La revue s’est ainsi dotée en 1977 d’un comité éditorial composé principalement de Tunisiens, en charge de la gestion et du pilotage de la revue. Composé aujourd’hui de 14 membres, le comité compte des universitaires et intellectuels tunisiens de tous domaines scientifiques ; diversité à l’image de la pluralité et de la richesse de la revue.

La bibliothèque de l’IBLA, toujours propriété des Pères Blancs, a réouvert ses portes au public le 5 mai 2014, après une fermeture de quatre ans. L’incendie du 5 janvier 2010 ayant provoqué une destruction partielle de la bibliothèque et entraîné la perte d’innombrables ouvrages, journaux, revues et archives conservés dans cet espace qui compte aujourd’hui plus de 30 000 ouvrages et 600 périodiques. La bibliothèque est désormais accessible aux lecteurs du lundi au vendredi, mettant à leur disposition des ressources documentaires portant sur une aire géographique s’étendant du Maghreb au Machrek. L’existence d’un dépouillement des articles de revues, lesquelles sont recensées dans un fichier spécifique, est un atout supplémentaire du fonds de la bibliothèque.

L’Institut est également le lieu de cours de soutien scolaire à destination des élèves du quartier, pour lesquels d’anciens élèves ou des enseignants n’hésitent pas à faire des dons de manuels afin de soutenir cette initiative. Enfin, les Sœurs Blanches, affiliées du fait de leur nom et de leur histoire aux Pères Blancs, prodiguent un enseignement d’arabe tunisien au profit des personnes séjournant ou non en Tunisie, désirant s’initier à cette langue. Le manuel de Madeleine Prim, Cours d’arabe tunisien. Niveau 1 est ainsi reconnu comme étant un ouvrage de référence dans le domaine de l’apprentissage de l’arabe dialectal de Tunisie. A ce propos, l’étude de cette langue s’est faite, tout au long de la parution des numéros de la revue IBLA, une place de premier choix, notamment à travers les proverbes, contes ou encore expressions populaires, mis en avant comme éléments fondateurs de l’identité tunisienne.

Aujourd’hui âgée de 87 ans, la revue de l’Institut des Belles Lettres Arabes continue de questionner ses contemporains à travers ses articles scientifiques et les orientations thématiques des publications contenues dans celles-ci, qui s’inscrivent dans l’actualité tunisienne et internationale. Comptant plus de 1400 articles[1], plus les recensions issues de la production éditoriale tunisienne, IBLA n’a eu de cesse, tout au long de son histoire, de façonner le paysage de la recherche en allant dans le sens d’une compilation et d’une meilleure accessibilité du savoir pour les personnes désireuses d’investir un terrain d’étude basé en Afrique du Nord.

[1] Chiffre datant de 2014.